"Il y a des grands miroirs, tables et guéridons d'argent avec leurs flambeaux, et la salle est toute
entourée de grandes pièces comme vases, cuves, et chenests d'argent, d'une grandeur prodigieuse comme
on en voit… depuis l'escaller jusqu'au second salon au bout de la grande gallerie…"
À l'instar du courtisan de 1687 débouchant à l'entrée des Grands Appartements,
le visiteur de 2008 les découvre meublés d'argent, comme au temps du Grand Roi.
L'histoire des meubles d'argent est liée à l'afflux de métal précieux en Europe, consécutive
à la découverte du Nouveau Monde. Les premiers apparaissent en Espagne au milieu du XVIe siècle,
et. l'infante Anne d'Autriche en apporte en dot quand elle épouse en 1615 le jeune Louis XIII. On trouve
dans sa chambre une table et un guéridon en argent massif, et un somptueux balustre estimé 30500
livres.
Ce goût du faste prend avec Louis XIV des proportions qui ont frappé d'étonnement courtisans
et visiteurs. Salons et galeries regorgent de lustres d'argent, de girandoles, caisses d'orangers, brancards, balustrades,
tables et guéridons d'argent massif, dont les décors sont empruntés, selon la mode du temps,
à l'allégorie et à la mythologie.
Le grand ordonnateur de toutes ces merveilles est Charles le Brun, Directeur des Gobelins, qui fournit les dessins
et les fait exécuter par les orfèvres de la Manufacture com- me Alexis Loir ou Claude de Villiers
ou par des maîtres extérieurs, comme Claude Ballin, Nicolas Delaunay ou René Cousinet.
C'est le nom de Ballin qui revient le plus souvent sous la plume des mémorialistes. Né en 1615 dans
une famille d'orfèvre, orfèvre ordinaire du roi, installé dans les galeries du Louvre, il
est l'auteur des pièces les plus somptueuses et de la plupart des "grands ouvrages" : vases, bassins,
brancards, lustres, tables, chenets. Sa mort en 1678, lui épargne le choc de voir disparaître ses
œuvres dans le creuset de la Monnaie.
Dès 1689 en effet, les revers militaires mettent à mal le trésor royal que les 20 tonnes d'argenterie
mobilière, sacrifiée sans état d'âme par le souverain, pour un rapport de 2,5M. de livres,
(le quart de ce qu'avait coûté le mobilier) ne suffiront pas renflouer. Ces fontes navrèrent
les artistes et firent sur l'opinion une impression catastrophique. Le comportement royal était après
tout conforme à celui du simple bourgeois dont l'argenterie domestique était une manière d'immobiliser
ses économies qu'on convertissait en espèces cas de besoin.
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